Introduction au peintre Titien
Article de Guido Lion ancien professeur au Lycée Touristique de Venise, journaliste.
Pour démarrer l’histoire de l’art.
S’il advenait que je sois écrivain et que je souhaite commettre un roman qui se passe à Venise au milieu des innombrables œuvres d’art italiennes et des grands peintres italiens qui peuplent la Sérénissime et que mon sujet soit les œuvres de Titien, son maitre le plus célèbre du cinquecento de la Renaissance italienne au XVI ème siècle, je débuterais alors mon histoire par la Punta de la Dogana.
C’est ce que fit Jean d’Ormesson dans son roman « La Douane de mer », vaste fresque commençant à Venise. Dès la première ligne l’auteur meurt “dans les bras de Marie, devant la Douane de mer d’où la vue est si belle sur le Palais des Doges et sur le haut campanile de San Giorgio Maggiore”.
Titien
Titien est né en toute fin du quattrocento. Il était l’un des fils de Gregorio Vecellio, descendant d’une dynastie vénitienne qui occupait de nombreuses charges publiques au service de la République de Venise. C’est à Pieve di Cadore, village blotti au cœur des montagnes lesquelles s’appelleront plus tard les Dolomites, que Titien va naître et grandir.
Rien de mieux donc, que d’imaginer le jeune Titien campé en cet endroit magique et grandiose de la Vénetie, jetant son regard amoureux sur cette ville amphibie. Ville unique au monde, surgissant des eaux saumâtres de la lagune marécageuse, avec tous ses palaces et ses églises.
La douane de mer
La douane de mer s’élève à la pointe d’un vaste terrain triangulaire stable et « dur » ; d ’où le nom de « Dorsoduro » qui lui fut donné et qui s’étendit ensuite à tout ce « Sestiere » de Venise.
A l’époque du peintre Titien et des autres grands peintres de la cité des Doges, cette langue de terre qui sépare le début du Grand Canal de l’ample Canal de la Giudecca, n’était pas si différente d’aujourd’hui. On peut le constater en comparant la perspective signée Jacopo de’ Barbari, gravure réalisée aux portes du XVIième siècle, en l’an 1500, à l’aube de l’art baroque . (photo ci-dessous)
La Tour
L’ingénieur hydraulique Giuseppe Benoni transforma la Tour de la Douane en l’an 1677 en un édifice simple, cubique et lisses.
La pierre blanche d’Istrie servit à son édification. Elle est coiffée d’une sculpture, œuvre de Bernardo Falconi, un des artistes de la renaissance, à cheval sur le début de l’art baroque. La sculpture représente deux Atlas en bronze soutenant un globe terrestre doré. En son sommet trône une girouette, allégories de la Fortune affrontant l’immensité du ciel. Cela donne une idée de la fugacité et des difficultés qu’éprouvent les mortels à saisir les bonnes opportunités lors des apogées économiques ou artistiques. C’est un merveilleux symbole ponctuant le raffinement de son actuel propriétaire membres éclairé du gotha de richissimes humanistes.
En effet, sur cette tour flotte maintenant l’étendard blanc et noir de la Bretagne, tout le complexe appartenant à François Pinault depuis 2007. Il est le siège de son second musée d’art contemporain. François Pinault l’a emporté contre d’autres collectionneurs dont la Fondation Guggenheim. Quelques années plus tôt il s’était déjà rendu propriétaire du Palazzo Grassi qui domine un des coudes du grand canal de la cité des Doges.
La Basilique
A l’époque du peintre Titien, il manquait encore à Venise l’imposante construction de la Basilique Notre Dame de la Santé (Santa Maria della Salute). Elle se trouve à deux pas du Musée des beaux-arts de l’Accademia. Erigée en remerciement à la Sainte Vierge Marie, elle célèbre la fin de l’épidémie de peste de l’an 1630. L’architecte Balthasar Longhena, élève du maître italien Paladio a signé ici un chef d’œuvre empreint de magnificence. Il y gagna le titre indiscuté de champion du style baroque vénitien.
Bien que construite plus de 50 ans après la mort du peintre Titien, cette superbe basilique abrite aujourd’hui moulte peintures et sculptures des artistes de la renaissance dont Titien. Nombres de tableaux des plus grands peintres italiens du XVIième siècle y furent transférés après son achèvement. Cet anachronisme apparent s’explique surtout par le fait que beaucoup de ces œuvres installées à l’origine en l’an 1656 dans l’église de la Santé sur l’Ile de Santo Spirito durent être transférées lors de sa démolition.
« Saint Marc en trône » de Titien
La chronologie de l’histoire de la peinture, acceptée par la plupart des critiques et historiens situe l’œuvre autour de (1508-1511). Il s’agit d’un des premiers tableaux peints sur retable par le peintre Titien. Il le peignit juste après son retour de Padoue, à l’endroit-même où il avait décoré la Scuola del Santo de fresques éclatantes de couleur, juste à côté de l’Eglise de Saint Antoine.
«Saint Marc en trône», est conçu à la façon d’une sculpture, avec à ses pieds, quatre Saints. Examinons la composition, les standards anciens et classiques et l’histoire de cette peinture :
Par l’auteur Anna Maria Venier
Saint Côme et Saint Damien
« Côme (ou Cosme, à l’ancienne) et Damien sont deux saints médecins, deux frères, des jumeaux peut-être, selon la tradition. L’un est médecin, l’autre pharmacien. Ils sont d’origine arabe, nés dans la seconde moitié du IIIème siècle après J.C., à Egée, ville de la Cilicie, dans la Turquie asiatique. De tous les saints, ils font partie des rares à pouvoir être considérés comme étant vraiment œcuméniques. Ils relient l’Orient et l’Occident. Leur miracle le plus célèbre est la transplantation d’une jambe ulcérée d’un patient blanc avec celle d’un éthiopien mort récemment. Ils sont vénérés par les gitans, par les pauvres et par les pèlerins malades.
Incubatio
Encore aujourd’hui, dans le sanctuaire qui leur est dédié à Riace en Calabre, il est pratiqué ce qu’on appelle l’«incubatio». C’est-à-dire qu’en attendant la guérison, les malades dorment la nuit dans la nef de l’église, comme dans la Grande-Grèce les malades dormaient dans les sanctuaires dédiés à Esculape, le dieu de la médecine. Il s’agit de saints « anárgyroi », sans argent, ils soignaient gratuitement les hommes et les animaux. Les deux saints martyres, qui seront persécutés au temps de l’empereur Dioclétien et décapités.
Cette belle peinture à l’huile se trouve maintenant dans la Sacristie de la Basilique de la Salute (Sainte Marie de la Santé). Là, le peintre Titien, tel un décorateur, a choisi de les habiller l’un en rouge et l’autre en jaune et de les placer à la droite de Saint Marc. Leurs visages sont extrêmement caractéristiques. Ils ne sont pas comme des portraits de deux saints dans l’iconographie classique, mais plutôt comme ceux de deux hommes probablement contemporains du Titien.
Titien les peignit lorsqu’il était encore jeune, peu après la peste de l’année 1510 qui avait tué, des milliers de Vénitiens dont son maitre, Zorzi de Castelfranco, dit Giorgione. Titien reproduisit des plaies typiques laissées par la maladie sur les deux autres saints qui leur font face.
Saint Roch et Saint Sebastien
En arrière plan, Saint Roch touche du doigt des plaies sur sa cuisse. Saint Sébastien, transpercé par une flèche, avance sa jambe droite ostensiblement en premier-plan pour nous montrer une plaie très réaliste. De la peste (mot indoeuropéen), qui veut dire souffle mortel ou fléau, le hasard guérissait très peu de malades. Saint Roch et Saint Sébastien étaient réputés protéger les patients.
Dualité
Cette peinture de Titien illustre la dualité : la science médicale et la foi, le rationnel et le mystère, l’humain et le divin, le profane et le sacré. La dualité est caractéristique de l’état des connaissances de l’homme de la Renaissance. Peindre cette dualité rendait plus tolérable pour le peuple la dure politique sanitaire développée pendant la peste par la Sérénissime. L’idée de couple est traduite en premier lieu par les médecins jumeaux et par les deux saints protecteurs contre la peste.
Sous la voûte, le jeu binaire de l’ombre et de la luminosité qui s’exprime sur le visage et sur le corps de Saint Marc comme un clair-obscur, vient rehausser le concept de dualité. Saint Marc semble presque sortir des ténèbres en ce moment historique, pour propulser la parole biblique en avant vers la lumière. L’espace aussi est double : l’architecture est rationnelle avec des proportions justes, une construction rigoureuse faite de marches et de colonnes dont la perspective est accentuée par le sol en damier, mais en arrière-plan le ciel orageux et tourmenté annonce le Sirocco.
Le spectateur est interpellé par le seul regard qui soit tourné vers lui : celui de Saint Sébastien splendide et lumineux ; seule clé d’accès psychologique à la peinture ; son corps est aimablement sculpté, très réaliste, bien que la posture soit théâtrale.
Saint Marc
Le spectateur ne peut qu’être attentif et séduit par la couleur brillante des vêtements des médecins, par la force et l’autorité de Saint Marc assis sur un trône très haut, au-delà du temps et de l’espace, dans un moment qui ressemble à celui des rêves et des visions. En effet c’est dans les rêves que les deux saints médecins apparaissent aux fidèles en souffrance. C’est pendant leur sommeil qu’ils recevront la guérison.
La science sans la piété est presque inutile : « Ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le aussi gratuitement ». Le précepte de l’Évangile de Matthieu, résonne comme « une invitation de la part de la République de Venise faite à la classe cultivée et riche de la population vénitienne, à apporter leur soutien humain et généreux aux malades et aux pauvres ».
© Anna Maria Venier pour « Best Venice Guides »
Toiles de ciel de Titien
Peintes par Titien entre 1542 et 1544, juste avant de partir pour Rome, ces trois grandes toiles, inspirées des mythologies bibliques, proviennent également de l’Eglise de Santo Spirito. Avec des compositions magnifiques, elles sont aujourd’hui dans la Sacristie de la Salute. Ces toiles sont fixées au plafond, car elles furent conçues pour être vues du bas. Il existe un dessin préparatoire du « Sacrifice d’Isaac sur l’autel »conservé à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Sur ce brouillon, les anges retiennent le bras d’Abraham.
Titien avait sans doute lancé un défi aux maniéristes toscans, très à la mode à cette époque, tels Giorgio Vasari , Francesco Salviati et son élève Giuseppe Porta qui furent ses contemporains. Peut-être fut-ce un challenge proposé à son éternel rival de Venise : « le Pordenone ».
Ces trois peintures dramatiques sont composées de clair-obscures, pleines de raffinements, avec des perspectives subtiles et réalistes. Tout autour il y avait également les images des quatre Evangélistes (chacun représentés avec son symbole). Ainsi que des quatre Pères de l’Eglise latine (Saint Grégoire le Grand, Saint Ambroise de Milan, Saint Augustin et Saint Jérôme). Il s’agit de huit disques de bois traités en glacis. Ces portraits sont attribués par la critique moderne ainsi que par les historiens de l’art plutôt à l’atelier de Titien qu’au maître lui-même.
La Pentecôte
Revenant à l’intérieur de l’Eglise della Salute, sur le deuxième autel à gauche de l’entrée principal, il y a un autre tableau de Titien. Ce tableau provient aussi de l’Eglise de Santo Spirito. Cette toile lumineuse représente la Pentecôte (peinte vers les années 1550). Cette toile fut exécutée pour remplacer une œuvre traitant le même sujet que Titien avait déjà peinte. La première toile s’était très vite abimée à cause de l’humidité et des moisissures.
La scène se passe à l’intérieur d’une structure architectonique sous voûtes, très élaborée. Cette voûte fait penser à celle de la Basilique de Saint Pierre de Rome selon le projet de Donato Bramant. Titien l’a sans aucun doute vue lors de son séjour romain (1545-46). Certains des visages des Apôtres ne seraient pas à attribuer à Titien. Bien qu’excellent portraitiste, il semble que ce serait plutôt l’atelier de Titien qui en serait auteur. Les traitements chromatiques, tout comme les transparences de chaque pinceau de lumière restent surprenants.
La maison de Titien
L’adresse exacte de la maison de Titien “Titianus Veccellius” est Calle larga dei Boteri, 5113. Elle se situe dans le Sestiere de Cannaregio de Venise.
Le numéro de la maison de Titien est 5113. On voit bien que ce nombre peut très facilement être pris pour 5115.
5115 est encore un nombre palindrome, lui aussi divisible par 33.
Remarquons les multiples caissons de la porte menuisée. A raison de 11 rangées de 6 caissons cela fait soit 66 caissons.
66 est un nombre palindrome égal à 2 fois 33.
33 est le nombre qui a poursuivi le Pape Jean-Paul Ier jusqu’à sa mort. Son décès inexpliqué ouvre le fantastique roman historique de Thao Tenet “Le Secret de Marthe”. Vaste fresque qui traverse 2000 ans d’histoire et révèle un incroyable secret.