L’ultime secret révélé…

Danaé : le mythe et sa représentation

Danaé et la pluie d’or (1553) de Titien.

Cinq pièces sur son ventre, vingt-deux sur ses draps et quatre-vingt-une en chute autour d’elle. Le tableau de Titien représentant la princesse Danaé, courtisée par Zeus métamorphosé en pluie d’or, fut choisi par le Pape Jean-Paul Ier pour dissimuler un secret bouleversant. Le mythe de la princesse, sa représentation, et ses symboles ont une place fondamentale dans le roman Le Secret de Marthe, de Thao Tenet. 

Le mythe de Danaé 

Qui est Danaé ? Danaé est la fille du roi d’Argos, Acrisios, et d’Eurydice fille de Lacédémon. Or, l’oracle de Delphes prédit un jour à Acrisios que le fils de Danaé le tuerait. Craignant ce destin, Acrisios décida d’enfermer sa fille au sommet d’une tour d’airain, dans une chambre aux fenêtres condamnées par de larges barreaux. 

Malgré ces précautions, Acrisios ne parvint pas à empêcher Zeus de tomber amoureux de la princesse isolée. Pour s’infiltrer dans la chambre d’airain, Zeus eut recourt à un ingénieux stratagème : il se mua en pluie d’or féconde. Persée naquit de cette union atypique. 

En découvrant la feinte de Zeus, il est dit qu’Acrisios tua la nourrice de l’enfant et enferma Danaé et son fils dans un coffre jeté à la mer. Cette énième précaution n’empêcha pas le coffre d’échouer sur l’île de Seriphos, dans l’archipel des Cyclades. Mère et fils furent recueillis par un pêcheur qui éleva l’enfant comme son propre fils. Mais le roi de Seriphos, Polycdete, réserva un destin tant à Danaé qu’à son fils. 

Le roi de Seriphos confia en effet à Persée la mission de tuer Méduse, une des trois gorgones. Aidé par les dieux, Persée y parvint. Pendant cette absence Polycdete, tombé amoureux de Danaé, souhaita l’épouser de force. De retour à Seriphos, et armé de la tête de Méduse, Persée se vengea de Polycdete en le transformant en pierre. Mère et fils retournèrent alors en Grèce et Persée réalisa la prophétie malgré lui : il rata sa cible lors du lancer de disque et tua malencontreusement son grand-père, Acrisios. 

Danaé et Persée recueillis par des pêcheurs (1892) par John William Waterhouse.

 

La peinture mythologique

Les mythes inspirent les peintres. Certains chercheurs étudient même la mythologie à partir de ses représentations picturales. À partir du quinzième siècle, ce style de peinture prospère. De nombreux artistes s’illustrent dans ce genre. 

Sandro Botticelli a particulièrement marqué ce siècle par ses compositions mythologiques. Son tableau allégorique du printemps, mêlant le profane et le sacré sur fond sombre, est une œuvre particulièrement éloquente à ce sujet. Beaucoup de ses travaux mythologiques furent commandés par la famille Médicis à Florence. 

Le Printemps (1482) de Sandro Botticelli

 

Son tableau le plus célébré reste néanmoins La Naissance de Vénus (par ailleurs peint selon la technique de la tempera, expliquée dans cet article). Debout dans une coquille Saint-Jacques géantes, une déesse pudique surgit des eaux. Sa posture imite celles adoptées par les statues de l’antiquité : le poids du corps repose sur une jambe tandis que l’autre est fléchie. Malgré sa pudeur, ce travail fait preuve d’effronterie à une époque où la nudité reste l’apanage des œuvres religieuses.

 

La Naissance de Vénus (1485) de Sandro Botticelli

 

La nudité et la Renaissance

À la Renaissance, le nu féminin redevient un sujet pour les peintres, comme autrefois durant l’Antiquité. Alors, les mythes et le sacré sont des sources d’inspiration, voire des prétextes, pour représenter la nudité. Certains tableaux témoignent ainsi d’une recherche de la perfection, d’autres représentent le corps humain avec réalisme. À une époque où la nudité choque, la beauté du corps rend ces représentations acceptables, incarnant physiquement un idéal moral. 

Une posture en particulier devient propice à l’idéalisation du corps au cours du XVIème siècle : la femme endormie. Ces représentations offrent au spectateur une contemplation moins coupable. La femme est peinte dans sa plus grande vulnérabilité, de façon énigmatique. Le spectateur est presque tenté de résoudre un mystère dans cette atmosphère intime. 

Une des représentations les plus caractéristiques de ces compositions est la Vénus endormie de Giorgione. Dans un décor calme, qu’on imagine silencieux, une déesse est représentée les paupières closes, la silhouette parfaite. Le spectateur oscille entre l’étrangeté et la familiarité de la situation. Le peintre ne souhaitait pas représenter quelconque évènement historique avec réalisme, c’est une œuvre qui parle à l’imagination, qui incite à la rêverie. 

Il est dit que Titien, alors élève de Giorgione, aurait achevé lui-même le tableau de la Vénus endormie. À ses débuts, certains tableaux du portraitiste imitent si bien le travail de Giorgione qu’on les croirait signés de la main du maître. 

Vénus endormie (1510) de Giorgione.

Titien et Danaé

Les premières peintures de la princesse Danaé remontent aux environs de 1545. Après avoir mûri l’influence de Giorgione, Titien participe au courant maniériste. Ce mouvement prend à contre-pied la perfection des techniques et des corps qui caractérisait la Renaissance jusque-là. En effet, le sac de Rome de 1527 bouleverse les idéaux. Les corps subissent des distorsions, les sujets sont plus crus, éxagérés, on préfère le mouvement à la langueur. 

La première peinture de Danaé et la pluie d’or ne représente pas la princesse aux côtés de sa servante mais bien d’un cupidon. C’est cette version-ci de Danaé que Michel-Ange aurait admiré lors de sa visite de l’atelier de Titien. D’après Giorgio Vasari, Michel-Ange aurait d’abord complimenté Titien sur son travail des couleurs pour ensuite déclarer, une fois l’atelier quitté, que la qualité du dessin était regrettable et insuffisamment méthodique. 

 

Danaé et la pluie d’or (1554) de Titien.

Une seconde peinture de Danaé la représente cette fois-ci dans une composition presque similaire à celle de la couverture du Secret de Marthe. Celle-ci est plus fidèle au texte d’Ovide en remplaçant le cupidon par une servante, recueillant la pluie d’or dans son tablier. Le contraste entre les deux personnages est saisissant : Danaé languissante représentant la jeunesse, la fraîcheur, et sa servante subjuguée par la présence de Zeus, tentant d’amasser le plus d’or possible. 

Certains interprètent le contraste entre les deux femmes comme une métaphore de la rivalité entre l’école représentée par Michel-Ange, caractérisée par un dessin ouvragé, et l’école vénitienne de Titien préférant l’élégance d’un dessin simple et coloré.

Une troisième variation de ce tableau fut peinte en 1564. La servante est cette fois-ci représentée en possession d’un plateau avec lequel elle tente de récupérer la pluie d’or. 

 

Danaé et la pluie d’or (1564) de Titien.

Autres interprétations de Danaé 

Le mythe de la princesse Danaé inspira de nombreux peintres. L’interprétation du Tintoret, peinte en 1574 à l’occasion de la rencontre entre Henri III et Veronica Franco, propose lui une interprétation moins fabuleuse de l’épisode mythologique. La princesse semble plus attentive aux gains amassés qu’à la présence de Zeus. Les pièces d’or sont alors un support pour le peintre afin d’effectuer des jeux de lumière. Cette caractéristique fait de la Danaé du Tintoret un tableau emblématique du luminisme vénitien. 

Danaé (1570) du Tintoret.

Le fameux peintre néerlandais du dix-septième siècle, Rembrandt, choisit lui aussi la princesse Danaé comme objet de composition. La particularité de ce tableau réside quant à elle dans sa taille, les personnages sont représentés grandeur nature. Contrairement aux réalisations de Titien ou du Tintoret, Rembrandt ne proposa pas la scène de la pluie d’or à proprement parler mais bien la scène précédente : celle de la princesse, attendant la visite de Zeus. Une étude du tableau aux rayons X indique que le maître de la peinture baroque avait d’abord décidé de peindre la pluie de pièces d’or, pour ensuite la supprimer.

 

Danaé (1643) de Rembrandt.

Plus récemment dans l’histoire, c’est le peintre Chantron qui décida de reprendre le mythe de Danaé à son compte. Son interprétation propose une princesse assise, le visage ravi, entrouvrant un rideau pour laisser la pluie d’or entrer dans sa chambre. Les couleurs sont vives tandis que le peintre joue de la blancheur de la peau de Danaé. 

 

Danaé (1891) d’Alexandre-Jacques Chantron.

Le mythe fut aussi repris dans des compositions moins conventionnelles. Celle de Gustav Klimt, peintre autrichien emblématique du mouvement symboliste, présente la princesse dans une construction en forme de spirale. Les rondeurs de Danaé sont mises en avant, de manière à ce que le reste du tableau paraisse davantage en profondeur. C’est d’ailleurs ce décor qui est sombre, en contraste avec la blancheur du sujet et la lumière venue de la pluie d’or. 

 

Danaé (1907) de Gustav Klimt.

Un autre peintre influencé par Gustav Klimt se réappropria le sujet : Egon Schiele. Celui-ci décida d’exécuter une représentation plus triste de la princesse enfermée. Ce tableau signe le début de son travail de désarticulation des corps. Le peintre s’est notamment inspiré de ses études en hôpital psychiatrique pour ces compositions-ci. 

 

Danaé (1909) d’Egon Schiele.

 

L’artiste russe Zakharov propose, en 2008, une interprétation contemporaine du mythe de Danaé. Dans une pièce où seule les femmes peuvent rentrer, une pluie d’or s’abat de manière régulière. En haut de cette pièce, un homme est assis sur une poutre, les bras croisés. Par cette œuvre, l’artiste souhaite dénoncer la fourberie d’une société dans laquelle les femmes, séductrices, sont piégées par l’argent des hommes. 

 

Danaé, interprété par Adim Zakharov à la biennale de Venise (2008).

La reproduction du Pape, dans Le Secret de Marthe 

La reproduction du tableau de Titien, cédée par le Pape à l’oncle de la protagoniste, ne représente pas exactement la deuxième variation de Danaé et la pluie d’or. Elle conserve le mystère du tableau originel mais se distingue par plusieurs ajouts. La totalité des pièces d’or de la pluie correspond à cent huit, un nombre sacré chez les bouddhistes et chez les hindouistes. 

« Les hindouistes et les bouddhistes, comme d’autres religions orientales, considèrent que le nombre «108» est un nombre sacré. À leurs yeux, le nombre contient le «0» qui représente le néant (ou l’arrêt de l’activité mentale lors de la méditation), le «8» qui représente l’infini, ce qui n’est pas dénombrable (ou tout ce qui change, c’est-à-dire l’impermanence), et le «1» qui est l’unité, l’indivisible (la conscience). En synthèse, «108» représente pour eux l’univers (ou l’achèvement spirituel). »

La princesse est également munie d’un chapelet Mâlâ, celui-ci comptant cent huit perles traditionnellement. Ses bijoux sont également ceux de la tradition indienne : des chevilles en argent et une bague à l’orteil. 

« Marco, incorrigible, ne put s’empêcher de compter les pièces d’or! Le copiste avait peint exactement 22 pièces déjà tombées, parsemant le drap entre les jambes de Danaé; cinq autres à la façon d’une étoile d’or avaient chu sur son corps; en y ajoutant les pièces pleuvant sous le regard de Zeus, il y avait en tout 108 pièces d’or dans le tableau! Sur la manche de la vieille servante, une fleur à 5 pétales, sans doute celle d’un hibiscus blanc, était brodée en fils d’argent.

Sur un coussin, à portée de main de Danaé, était posé un chapelet Mâlâ de 108 perles.

Le copiste avait retiré le bracelet du poignet droit de Danaé. En revanche, il avait pris soin de lui mettre une bague de pied au second orteil droit et des chainettes d’argent sur chacune de ses chevilles, exactement comme le font les femmes et les jeunes filles indiennes.

Le tableau mesurait un 0,81 mètre de haut sur 1,31 de long, soit le rapport de Phi, 1,618… et pour ce qui est de Pi, il se cachait sans doute dans les rondeurs de Danaé et dans le cercle central de la composition.

Ce qui frappa le plus Marco, ce furent les pieds de Danaé qui occupaient le premier plan du tableau et que la servante venait sans doute de masser. Il lui sembla maintenant que ces pieds nus crevaient «l’écran de toile». Il ne voyait plus qu’eux.

Ils lui rappelaient la Paduka du tombeau de Srinagar. La tradition bouddhiste vénérait les empreintes des pieds de Bouddha sur lesquelles étaient soigneusement dessinés non seulement la roue de la vie, mais surtout 108 signes, rangés soigneusement en bon ordre, dans des petites cases carrées. »

 

 

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