Dans son roman Le Secret de Marthe, Thao Tenet choisit de faire tenir une rencontre Œcuménique au monastère orthodoxe Saint Nicolas de La Dalmerie, dans l’Hérault. En effet, ce monastère ne se situe pas très loin du Prieuré de Cassan — où le secret de Marthe est découvert par les deux héros, Gioia et Marco Carminati-Cezio. Il est implanté dans les contreforts des Cévennes, en limite des départements de l’Hérault et de l’Aveyron. Bien qu’à 70 kilomètres de Cassan, il faut bien compter une bonne heure pour arriver au Monastère Saint-Nicolas de la Dalmerie depuis Cassan, une partie de la route étant tortueuse.
L’Église Orthodoxe
L’Église orthodoxe est fondée au 1er siècle, mais c’est sous l’empereur romain Justinien que se développe la « Pentarchie Orthodoxe » avec les Patriarcats de Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Elles retombent à quatre après la séparation avec l’Église de Rome lors du schisme de 1054, puis se développent au fur et à mesure de l’évangélisation. Actuellement, le monde Orthodoxe s’organise en seize Patriarcats Autocéphales Canoniques qui se reconnaissent tous entre eux et dix-neuf Églises reconnues par l’un ou l’autre des seize patriarcats. S’y ajoutent des obédiences indépendantes. Parmi ces églises, sept assurent descendre des communautés créées par un des apôtres ou des évangélistes. Le monastère de La Dalmerie dépend de la Métropole de France elle-même relevant du Patriarcat Œcuménique de Constantinople.
Le monastère Saint-Nicolas de la Dalmerie
Le monastère fut fondé en 1962, à Montbrisson dans la Drôme. En 1965, alors que ce premier site ne pouvait être agrandi, l’Archimandrite Benoît prit la décision de trouver un autre lieu pour le réimplanter. Ce second monastère se compose d’un ensemble de maisons achetées dans le hameau de la Dalmerie. Il fallut attendre 1990 pour que soit envisagée l’édification de l’église abbatiale, grâce à des donations. En comptant sa conception, la négociation des autorisations et la construction, il fallut 5 ans pour qu’elle puisse voir le jour grâce aux plans et aux directives de l’architecte Georges Axiotis. Elle est d’inspiration Byzantine mais se revendique aussi de l’art Roman. L’église est construite selon un plan octogonal. Thao Tenet nous en fait la description dans le chapitre 102.
« L’architecture était sobre et élégante. Les dômes et les toitures étaient couverts de tuiles canal orangées et les murs revêtus d’un enduit écrasé très régulier dans les teintes rosées du plus joli effet. Toutes les arcatures étaient soulignées de linteaux blancs en demi-cercle. Un grand escalier menait au porche d’entrée protégé par un péristyle à trois portiques. »
Actuellement, l’igoumène du monastère est l’Archimandrite Gabriel qui a succédé au fondateur Benoît, élevé quant à lui à la dignité d’Archimandrite du Trône Œcuménique par sa Sainteté Bartholomée 1er Archevêque de Constantinople. Aujourd’hui, par manque d’effectifs le monastère se meurt progressivement sous l’effet de l’attrition des vocations ; le père Gabriel est maintenant le dernier moine en fonction.
Les moines vivaient sous la règle de saint Benoît et subsistaient de leur travail. En l’occurrence la création d’icônes et la production de fromages de chèvre. Le cheptel et la fromagerie ont été remis à bail à des agriculteurs. Les matériels agricoles ont aussi été remis à de jeunes agriculteurs qui s’occupent des terres du Monastère. L’église ne se visite plus qu’au moment des offices.
Vie monastique et art sacré
Le vie monastique est un choix de vie entièrement tourné vers la spiritualité, impliquant le plus souvent une coupure du monde extérieur. Si l’activité confessionnelle prend une grande part du quotidien monastique, l’activité intellectuelle et physique importent aussi beaucoup selon les traditions. La séparation d’avec le monde séculier tend à circonscrire ces activités dans une dimension ascétique. Le monastère Saint-Nicolas de la Dalmerie suit la Règle de saint Benoît laquelle accepte la cohabitation du dévouement monastique et de l’aspiration culturelle. Au travers d’une solide formation les arts profanes contribuent à leur manière à la vie spirituelle du moine.
De cette façon, à La Dalmerie, peintures profanes sur toiles et peinture d’icônes peuvent alterner dans la même journée d’un moine. La peinture sacrée est d’ailleurs un travail premier au sein de cet établissement. Mais, quelle est véritablement la différence entre art sacré et art profane ? Quelles ont les clés pour comprendre la place de l’art sacré dans un monastère orthodoxe, situé en Occident mais dépendant de l’Orient ?
Vivre sa foi de manière créatrice
La confection d’icônes, telle qu’elle est pratiquée dans le monastère Saint-Nicolas, peut éclairer ces questionnements. Effectivement, peindre des icônes n’est pas que la simple reproduction de représentations antérieures. Il s’agit en fait pour le moine de vivre sa foi de manière créatrice. Dans son ouvrage Le regard du Ressuscité, l’Archimandrite Gabriel replace « le regard » comme élément fondamental de l’icône. Le regard de l’icône christique est une création, par définition. La seule source historique permettant de connaître le visage du Christ serait pour les croyants sa trace sur le sur le linceul de Turin. Les yeux y sont fermés. Représenter un regard est non seulement le créer, mais aussi le créer en manifestant sa foi dans la Résurrection ! Il s’agit de la réouverture des yeux du Christ. Le linceul est lui-même , considéré par les Églises Catholique et Orthodoxes comme une icône à part entière.
Mais, peindre une icône n’est pas que création. L’icône est soumise à des règles très précises car celle-ci revêt un sens théologique puissant : elle sert de support à la prière. En donnant au « regard » une place fondamentale dans l’icône, l’Archimandrite Gabriel souligne son rôle dans la prière ; le fidèle qui vénère l’icône, fixe le regard et entre en relation intime avec la présence de la figure sainte représentée.
Peindre une icône nécessite un grand nombre d’étapes très longues et donc une grande patience. Son confectionneur plonge alors dans une forme de méditation. Chaque séance de peinture s’ouvre par une prière. De cette façon, le language pictural s’épanouit à mesure que le moine qui peint l’icône suit le cadre si particulier d’un véritable rite initiatique.
Les techniques de fabrication d’icônes
La fabrication des icônes s’effectue selon une technique précise : les éléments choisis servent à une meilleure représentation de la figure sainte et les étapes de peinture expriment des significations. La création de l’icône débute par le travail d’un panneau de bois dont la surface doit être homogène et le corps souple. Le bois est sujet à la moisissure et c’est ainsi que la première étape de la fabrication est l’application d’une couche de colle qui protège la surface.
Puis, le moine qui confectionne l’icône enduit le panneau d’une couche blanche, qui permettra de parfaitement mettre en relief les couleurs de son ouvrage. Cette couche blanche est communément appelée « levka », qui provient du mot grec « leukos » signifiant « blanc ». Le dessin, quant à lui, est réalisé à part, sur un calque, ce qui permettra à l’ouvrage de rester propre. Vient ensuite la réalisation de la dorure, technique spécifique et délicate.
Enfin, les étapes de peinture sont celles qui impliquent et possèdent davantage de significations. Les moines de la Dalmerie utilisent la technique traditionnelle de la « tempera » à l’œuf. Il est d’usage de débuter la peinture par les couches sombres, les couches claires étant appliquées en dernier. Pour illuminer une zone sombre, les moines étalent des gouttes de peinture très diluées qu’ils déplacent jusqu’aux zones à éclaircir. Enfin, le dessin de l’auréole est la ponctuation du travail sur l’icône avec d’éventuelles calligraphies, et de la pose du vernis.
Les icônes dans l’Histoire
Si l’icône a une fonction spirituelle, puis qu’elle relie le monde terrestre et le monde divin depuis sa sa fabrication jusqu’à son utilisation, son existence et son intérêt n’ont pas toujours coulé de source dans le christianisme. Ainsi, du huitième au neuvième siècle, les empereurs iconoclastes de l’Empire byzantin interdisent le culte des icônes. L’Empire est alors soumis à une pression politique interne et externe. L’instabilité à la tête du pouvoir et les invasions venues de l’Est et du Moyen-Orient y contribuent grandement. Cet « aniconisme » devient alors un outil politique, opposé aux diverses menaces qui canalisent de multiples mouvements religieux jugés hérétiques. A cette époque, l’art religieux se limite à des figures très rudimentaires, comme la croix en mosaïque de l’église Sainte-Irène de Constantinople.
Les conséquences de cette crise impactèrent durablement la civilisation byzantine. L’art de l’icône ne dut sa survie dans l’Église d’Orient qu’à l’opiniâtreté des moines. Cette querelle posa ostensiblement la question de la différence entre « art sacré » et « art profane ». La fabrication monacale d’icône apporte la réponse : il ne s’agit pas de créer une œuvre originale mais bien de la reproduire, cultivant ainsi une forme d’ascèse. La substance créative se met alors entièrement au service de l’expression de la foi. La fabrication des icônes au monastère Saint-Nicolas perpétue ce mode de penser.
Le monastère Saint-Nicolas de la Dalmerie et le Secret de Marthe
C’est en ce lieu reculé, improbable et surprenant, accroché aux pentes escarpées des montagnes que Thao Tenet a voulu loger la réunion œcuménique de présentation du Secret de Marthe à la communauté chrétienne non catholique.
Une des raisons était la proximité du Prieuré de Cassan. Une autre était la toute proximité du temple Bouddhiste de Lérab Ling qui est à 14 km de la Dalmerie. Il est curieux que dans cette campagne retirée se soient installées deux communautés monastiques ouvrant leurs portes à des retraites spirituelles comme Marthe ouvrait ses portes à Béthanie pour accueillir Jésus et ses disciples.
Une raison plus subtile est le lien qui relie Cassan avec le monde Byzantin en particulier les sources iconographiques de la fresque de Marie dans le cloître contre l’église Prieurale Notre-Dame de Cassan. Également, la lanterne de l’espérance qui coiffe l’église de Cassan n’est pas sans rappeler le lanterneau de l’édicule du Saint Sépulcre actuellement sous l’autorité du Patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem.
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