L’ultime secret révélé…

Zhou Enlaï et Deng Xiaoping

Etudiants chinois progressistes en France en 1920 dont faisaient partie Zhou Enlaï et Deng Xiaoping

(Extrait du livre de Jean Sagnes intitulé « Ils voulaient changer le monde » paru en 2016 aux Editions du Mont). Jean Sagnes est historien, ancien enseignant d’histoire et président de l’Université de Perpignan.

La francophilie des étudiants chinois progressistes du début du XXème siècle en France

Dans un article qui date de 1963, l’historien américain Conrad Brandt avait attiré l’attention sur ces étudiants ouvriers chinois venus en France en 1919-1920 chercher, comme le disait Cheng Tcheng, « la science et la démocratie »(1). Le phénomène connut une certaine ampleur puisque, en deux ans, deux mille étudiants chinois quittèrent la Chine pour la France.

Etudiants ouvriers chinois en France (1920-1940)
Etudiants ouvriers chinois en France (1920-1940)

L’aura française

En ce début du XXème siècle, la France représentait pour les intellectuels chinois avancés et en général d’esprit anarchisant, le pays du progrès par excellence parce qu’elle avait su éliminer la monarchie et l’enseignement religieux que ces philosophes (au sens employé au XVIIIème siècle d’intellectuels rationalistes) considéraient comme les deux principaux obstacles au progrès. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces philosophes ne regardent pas tellement vers les traditions françaises les plus hardies socialement mais tout simplement vers la IIIème République qui leur paraît un modèle pour leur pays et c’est avec des hommes politiques comme Édouard Herriot qu’ils entretiennent les meilleurs rapports !

La francophilie des progressistes chinois de l’époque va si loin qu’en 1915 Chen Du Xiu, qui sera quelques années plus tard le premier secrétaire général du Parti communiste chinois, écrit dans son journal La Jeunesse : « S’il n’y avait pas eu la France, je ne sais pas dans quelle obscurité nous vivrions maintenant ! »

La France comme modèle

Il est clair que c’est la France de la Révolution de 1789 qui est ainsi l’objet de l’engouement de ces Chinois. Fut alors organisée par ces intellectuels la migration temporaire des étudiants de Chine les plus « progressistes » vers la France. Ce fut une opération d’envergure mise sur pied par les chefs de l’anarchisme chinois, fils de hauts fonctionnaires, Li Shizeng (1881-1973), Wu Zhihui (1864-1952) et Cai Yuanpei, recteur de l’université de Pékin. Une première tentative avait été faite en 1912-1913 par Li Shizeng déjà installé à Paris au cours de laquelle une centaine d’étudiants chinois vinrent à Montargis. Ce fut ensuite, en 1915, la fondation de la Société du travail diligent et de l’étude frugale.

C’est en 1918 que Li, Wu et Cai créent la Société franco-chinoise d’éducation qui prône le travail et l’étude à mi-temps et qui est à l’origine des importants départs des années 1919-1920. Sur les deux mille étudiants chinois qui partirent alors vers la France, mille six cents étaient comme Cheng Tcheng des étudiants ouvriers qui alternaient travail salarié et études. Il semble que seuls cinq cents d’entre eux aient occupé des emplois normaux.

Fiche personnelle de Deng Xiaoping à l’usine Hutchinson.
Fiche personnelle de Deng Xiaoping à l’usine Hutchinson.

Déception des jeunes travailleurs chinois

Mais la France des années 1920 n’était pas le paradis espéré par ces jeunes Chinois enthousiastes. Le chômage sévissait et les conditions de vie furent pour eux si dures qu’en deux ans plus de deux cents d’entre eux moururent. D’autre part, il leur fut difficile de pénétrer dans les milieux politiques et intellectuels français et, de ce point de vue, Cheng Tcheng a été une exception. Il n’en reste pas moins que ces étudiants furent, grâce à la presse, aux livres, aux conférences ou aux meetings, fortement influencés par les divers courants de la gauche française. Le paradoxe est que c’est le radicalisme français qui a été le formateur intellectuel du futur parti communiste chinois même si, assez rapidement, ces étudiants-ouvriers se tournèrent rapidement vers le socialisme, le communisme, l’anarchisme car la plupart d’entre eux étaient révolutionnaires ou tout au moins désiraient des changements sociaux radicaux.

Cheng TCHENG par Maria Mutermilch
Cheng TCHENG par Maria Mutermilch

Des futurs dirigeants chinois en France

Le groupe le plus connu de ces étudiants ouvriers est celui qui se tourna vers le marxisme. Le nombre de futurs dirigeants du parti communiste chinois qui étaient alors en France et qui évoluèrent à ce moment ou un peu plus tard (mais en tout cas en Europe) vers le marxisme est impressionnant. Que l’on en juge : Li Li San et Deng Xiao Ping, tous deux futurs secrétaires généraux du PCC, Zhou Enlaï, Chen Yi, deux futurs vice-présidents du conseil, Li Fu Tchun et Nie Rong Zhen, les deux fils de Chen Du Xiu, d’autres encore moins connus en Occident ou qui, après avoir occupé des postes importants au sein du PCC  moururent avant 1949.

Ajoutons que Mao Tsé Toung et Liu Shao Qi, eux-mêmes prêts à partir pour la France et élèves de l’école préparatoire de Pékin de la Société franco-chinoise, annulèrent leur voyage au dernier moment. Plusieurs dizaines de ces étudiants communistes ou futurs communistes entrèrent d’ailleurs en conflit avec les dirigeants de la Société franco-chinoise et, en septembre 1921, occupèrent l’université franco-chinoise ouverte à Lyon grâce à Édouard Herriot, d’où ils furent expulsés par la police et reconduits en Chine comme Chen Yi ou Li Li San.

Les actifs du groupe communiste, 1921 à Paris. De gauche à droite : ZHANG Shenfu张申府, LIU Qingyang 刘清扬, ZHOU Enlai 周恩来, ZHAO Guangchen 赵光宸.
Les actifs du groupe communiste, 1921 à Paris. De gauche à droite :
ZHANG Shenfu张申府, LIU Qingyang 刘清扬,
ZHOU Enlai 周恩来, ZHAO Guangchen 赵光宸.

Une influence considérable

La plupart de ces étudiants connurent la condition ouvrière et résideront par groupes surtout à Paris mais les plus individualistes avaient choisi de s’éloigner de la capitale et de la colonie chinoise pour mieux pénétrer les milieux français C’est justement ce que fit Cheng Tcheng en venant à Montpellier. Contrairement à Zhou En Laï, à Deng Xiao Ping et à leurs amis, la plupart de ces individualistes ne sont pas devenus communistes. Cheng Tcheng, lui, semble avoir été communiste par intermittences.

À Montpellier, lorsqu’il quitte la ville en juillet 1927, ses amis le présentent comme libertaire kropotkinien, auditeur assidu des conférences de l’Enseignement populaire et du Groupe d’études sociales anarchistes. En fait Cheng Tcheng à Montpellier sympathisa avec une extrême gauche composée d’anarchistes, de syndicalistes révolutionnaires et de dissidents des partis ouvriers (SFIO et PCF) ainsi qu’avec une gauche laïque et rationaliste distincte des grands partis. Mais l’anarchisme paraît être le courant idéologique le plus proche de sa pensée de l’époque. On connaît la forte influence des idées anarchistes sur les jeunes intellectuels chinois et vietnamiens au début du siècle : Ho Chi Minh et Mao eux-mêmes eurent au début de leur vie une période anarchiste comme l’écrivain chinois Li Feigan, plus connu sous le nom de Pa Kin ou Ba Jin, nom pris en l’honneur de Ba(kouine) et (Kropot)kin, et qui résidait à Paris de 1927 à 1929.

Cheng Tcheng devint un ami de Paul Valéry qu’il rencontra sur le quai de la gare de Sète. Celui-ci accepta de préfacer son livre de poèmes.

 

Le parcours français de Zhou Enlaï et Deng Xiaoping

A cet article passionnant de Jean Sagnes nous tenons à ajouter que Zhou Enlaï et Deng Xiaoping sont arrivés tous deux en France à trois mois d’écart fin 1920. Ils ne se connaissaient pas et se sont rencontrés ultérieurement à Paris. Plus tard en 1923 ils ont habité ensemble au 17 rue Godefroy à Paris.

Deng Xiaoping a effectivement travaillé dans plusieurs établissements dont les laminoirs de Schneider au Creusot, chez Hutchinson, chez Renault à Billancourt, chez Kléber à Colombes. Tant Zhou que Deng découvrent le Marxisme Léninisme à cette époque. Deng rejoindra en 1923 le parti communiste chinois européen, fondé par Zhou Enlaï en 1921 avec l’aide de l’URSS. A cette époque Staline venait d’être nommé secrétaire du Comité Centrale. Deng deviendra un militant actif organisant la propagande sous la direction de Zhou.

Il est difficile de dire s’ils ont connu Chen Tcheng, mais ce n’est pas improbable. Montpellier étant le chef-lieu de l’Hérault, département dans lequel se trouve Cassan, rien ne permet d’éluder un passage de Deng Xiaoping et de Zhou Enlaï à Cassan pour les vendanges. En tout état de cause c’est là que le roman « Le Secret de Marthe » les y amènent.

Juillet 1924, 5ème congrès de la Ligue de jeunes communistes chinois en Europe. Premier rang à partir de la gauche : 1er, NIE Rongzhen, 4ème, ZHOU Enlai. Dernier rang, 3ème à droite : DENG Xiaoping.
Juillet 1924, 5ème congrès de la Ligue de jeunes communistes chinois en Europe.
Premier rang à partir de la gauche : 1er, NIE Rongzhen, 4ème, ZHOU Enlai.
Dernier rang, 3ème à droite : DENG Xiaoping.

Les destins politiques de Zhou Enlaï et Deng Xiaopoing

Zhou et Deng passeront ensuite par l’Union soviétique et découvriront la révolution russe issu de la lutte des classes et de la prise du pouvoir par le prolétariat. Ils étudieront ses effets et ceux du Marxisme Léninisme, avant de revenir en Chine.

Au côté de Mao Zedong ils participeront à la longue marche et à la fondation de la République Populaire de Chine.  Zhou Enlaï deviendra premier ministre chinois aux côtés du président chinois Mao Zedong.

Zhou tentera de limiter les dramatiques effets de la propagande « faire un Grand Bond en avant » ordonné par le Grand Timonier et cruellement sanctionnée par l’échec de la réforme agraire. Cette funeste aventure débouchera sur une immense famine. 100 millions de chinois en mourront.

Il s’en suivra une révolte des paysans. La « Révolution Culturelle chinoise » imposée par le Président Mao avec l’aide de ses gardes rouges fanatisés fera aussi faillite après avoir dévasté le pays et semé la terreur dans les masses populaires. L’idéologie du leader chinois, résumé dans le petit livre rouge brandi par les jeunes révolutionnaires n’était pas du gout de Zhou Enlaï.

Il ne goutait pas non plus le culte de la personnalité développé par Mao. Mis en danger, il réussit néanmoins à échapper aux camps de rééducation et aux purges et à se maintenir au pouvoir. Il tentera aussi de limiter les effets dévastateurs de l’occupation du Tibet qui avaient chassé le Dalaï-lama hors de Chine. Il évitera la guerre civile.

Zhou Enlai en 1920
Zhou Enlai en 1920

Au décès de Mao les luttes pour le pouvoir au sein du bureau politique et du comité central, avec l’activisme de la bande des quatre dont l’épouse de Mao faisait partie, se soldèrent par la prise discrète du pouvoir par Deng Xiaoping qui devient le véritable successeur de Zhou. Il occupera entre autre le poste de Président de la commission militaire centrale.

Malgré les évènements sanglants de la place Tiananmen et la répression qui suivra l’insurrection, Deng Xiaoping restera dans l’Histoire comme étant l’artisan de la modernisation de la Chine populaire. Il est à l’origine de la fin du maoïsme, de l’avènement du capitalisme chinois et de l’ouverture à la mondialisation. Il sera un habile leader auteur du slogan « enrichissez-vous » !

Tout sinologue reconnait que Deng fut un grand dirigeant chinois de la Chine contemporaine l’ayant ouverte vers les occidentaux. Deng et Zhou surent manœuvrer pendant les longues années de guerre froide qui s’achevèrent en novembre 1989 avec la chute du mur de Berlin.

Autant dire que la francophilie de Deng et Zhou facilitèrent l’amitié franco-chinoise.

Aujourd’hui les routes de la soies promues par le président Xi Jinping sont le vecteur de « soft pouvoir ». « Soft pouvoir » que  la République de Chine Populaire met en avant pour développer son influence.

C’est ici que se boucle le roman « Le Secret de Marthe » qui a vu Jésus partir très jeune avec les caravanes vers l’Extrême-Orient.

Deng Xiaoping en France en mars 1921
Deng Xiaoping en France en mars 1921

notes

(1)  Sur les étudiants-ouvriers chinois en France voir : Hugues Le Roux, « Les Chinois en France » in  L’Écho de Paris du 24 juin 1925 ; Conrad Brandt, « Les origines idéologiques de l’élite dirigeante du Parti communiste chinois », Le mouvement social, juillet-septembre 1963, n°44 ; Annie Kriegel, Communismes au miroir français, Paris, 1974 ; I. Tan, Le mouvement étudiant travailleur en France vu par He Changgong, thèse de l’université de Paris VII, 1979 ; Nicole Dulioust et Geneviève Barman. « Un groupe oublié : les étudiantes-ouvrières chinoises en France ». Études chinoises, 1987, n° 2 et les biographies de Li Shizeng (due à Choi Hakkin, François Godement et Yves Chevrier) et de Wu Zhihui (due à Choi Hakkin et Yves Chevrier) . Lucien Bianco et Yves Chevrier, La Chine, Éditions Ouvrières et Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985.

 

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